2023-05

2023-05-31 Plus de 40 experts alertent, dans la revue «Nature», sur le franchissement de 7 des 8 lignes rouges planétaires

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Plus de 40 experts alertent, dans la revue «Nature», sur le franchissement de 7 des 8 lignes rouges planétaires.

Ces seuils fatidiques concernent principalement le climat, la biodiversité, l’eau douce, ainsi que les cycles de l’azote et du phosphore.

La planète tutoie ses limites et l’humanité se rapproche des «points de bascule négatifs, existentiels et irréversibles».

Dans un article phare publié ce mercredi 31 mai 2023 dans la revue Nature , une équipe pluridisciplinaire de plus de 40 scientifiques internationaux, baptisée «la Commission de la Terre» («Earth Commission») formée en 2019 et pilotée par le ponte suédois Johan Rockström (l’un des pères fondateurs du concept de «limites planétaires», ces lignes rouges à ne pas franchir), tire la sonnette d’alarme sur les risques encourus pour «les populations du monde entier».

«En réduisant encore plus l’espace vivable disponible pour l’homme sur la planète, en resserrant les limites du système terrestre, de nouvelles recherches quantifient scientifiquement des dommages significatifs […] pour les individus, tels que la perte de vies, de moyens de subsistance ou de revenus, les déplacements, la perte de nourriture, d’eau ou de sécurité nutritionnelle, les maladies chroniques, les blessures ou la malnutrition», alerte le groupe de chercheurs dans sa publication.

Concrètement, les experts se sont penchés sur huit «seuils de sécurité et de justice» indispensables pour préserver «la sûreté des personnes et la stabilité de la planète».

Sept de ces seuils auraient déjà été dépassés .

Cette publication s’inscrit dans la longue lignée d’articles scientifiques dédiés aux «limites planétaires».

Théorisée en 2009 , la notion englobe neuf paramètres écologiques indispensables à l’équilibre du «système Terre» et, par extension, se rapporte aux seuils limites de perturbation que ces derniers peuvent endurer sans mettre en danger, de manière irréversible, les fondamentaux naturels de la planète.

Ces neuf variables, détraquées par l’activité humaine, relèvent des domaines du climat, de la biodiversité, du cycle de l’eau douce, de la couche d’ozone, de l’acidification des océans, des processus biochimiques de l’azote et du phosphore, de l’utilisation des terres, de la charge en aérosols atmosphériques, et enfin de la pollution radioactive ou chimique (plastiques, pesticides, solvants, polluants organiques persistants), nommée «entités nouvelles» dans les publications scientifiques.

En 2015, quatre de ces limites planétaires avaient formellement dépassé les seuils de précaution d’après les scientifiques : le climat, l’utilisation des sols, les cycles de l’azote et du phosphore, la biodiversité (avec un rythme d’érosion vertigineux).

Depuis, le cycle de l’eau douce et la pollution chimique ont aussi atteint des stades très préoccupants.

Neuf indicateurs pour mesurer l’habitabilité de la Terre

Dans cet article inédit, les scientifiques réutilisent une partie de ces neuf indicateurs conçus par l’équipe du professeur suédois, aujourd’hui directeur de l’Institut de recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique.

Mais la Commission de la Terre n’en compte désormais plus que huit dans ces nouveaux travaux, légèrement redéfinis, pour permettre à la fois d’évaluer «l’état de santé de notre planète en termes de stabilité et de résilience du système terrestre» (comme ils l’ont fait ces dix dernières années), mais aussi pour mesurer l‘habitabilité du «système Terre» «en termes de bien-être humain et d’équité et justice».

Ce n’est donc pas par hasard que figure parmi les auteurs principaux Joyeeta Gupta, professeure en environnement à l’Institut pour la recherche en science sociale de l’Université d’Amsterdam et spécialiste du développement inclusif.

«Pour la première fois, la science définit les conditions environnementales nécessaires non seulement pour que la planète reste stable, mais aussi pour permettre aux sociétés, aux économies et aux écosystèmes du monde entier de traverser la crise», se félicite la chercheuse.

Les conclusions de Joyeeta Gupta et de ses pairs sont sans appel : sur les huit paramètres retenus, seul le domaine des aérosols émis dans l’atmosphère n’a pas atteint de seuil critique.

«Pour toutes les limites définies dans cet article, limites qui prennent désormais en considération la question de la justice entre les humains et les différentes espèces, on va vers le pire.

Qu’il s’agisse du climat, de l’eau, des cycles biochimiques et géochimiques de l’azote et du phosphore, associés aux engrais, de la biodiversité…», analyse à la lecture de l’étude Natacha Gondran, professeure en évaluation environnementale à l’Ecole des mines de Saint-Etienne et coautrice, avec Aurélien Boutaud, de l’ouvrage Les Limites planétaires (la Découverte).

Plus de 200 millions de personnes exposées à des températures sans précédent

L’exemple le plus limpide concerne l’indicateur «climat et hausse des températures».

Le consortium de chercheurs insiste sur les effets sur les êtres humains d’un réchauffement de +1,5 °C par rapport à la période préindustrielle (les auteurs ne s’aventurent pas à se projeter et développer les scénarios du pire, même si le rapport de synthèse du Giec, publié en mars 2023, explique bien que cet objectif de 1,5 °C pourrait devenir obsolète au début des années 2030).

«Plus de 200 millions de personnes, tout particulièrement déjà vulnérables, pauvres et marginalisées, pourraient être exposées à des températures annuelles moyennes sans précédent, et plus de 500 millions pourraient être exposées à une élévation à long terme du niveau de la mer», est-il écrit.

S’agissant de la ressource en eau douce, les scientifiques considèrent que les seuils alarmants ont d’ores et déjà été atteints.

Selon eux, les conditions pour conserver un certain équilibre impliquaient, premièrement, que les flux mensuels d’eau de surface, qu’importent l’endroit et le continent, ne soient jamais altérés de plus de 20 %.

Et deuxièmement, que dans les eaux souterraines, les prélèvements annuels soient inférieurs à la recharge.

Aujourd’hui pourtant, 34 % de la surface de la Terre connaît une altération de plus d’un cinquième de ses débits d’eau en raison de barrages hydroélectriques, de systèmes de drainage et de constructions. 47 % des nappes phréatiques, elles, sont soumises à des captations supérieures à leurs possibilités de recharge en eau.

Ces chiffres, bien trop élevés, pointent, selon les scientifiques, «le défi» que représente «l’insécurité de l’eau dans les différentes régions du monde» : «Par exemple, les dommages associés à de mauvaises conditions d’assainissement de l’eau et d’hygiène ont un impact disproportionné sur la santé des jeunes enfants dans les pays à faible revenu, en particulier en Afrique subsaharienne.»

Plus de la moitié des écosystèmes ont déjà été artificialisés

Les limites pour préserver la biodiversité sont également en train d’être définitivement outrepassées.

Alors qu’au moins 50 % à 60 % d’écosystèmes naturels devraient rester intacts, les experts dévoilent que plus de la moitié de ces surfaces ont déjà été artificialisées.

Même dépassement au sujet de l’azote et du phosphore.

Les quantités d’engrais utilisés pour fertiliser les terres agricoles s’avèrent bien trop élevées : un surplus de 119 millions de tonnes d’azote par an rejoint les milieux aquatiques (alors qu’il faudrait être à moins de 57 millions par an, selon le groupe de chercheurs), et 10 millions de tonnes de phosphore sont entraînées dans les eaux chaque année (cela ne devrait pas dépasser 4,5 millions).

«Lorsque les engrais sont épandus sur les sols, ces nutriments ne sont pas totalement absorbés par les cultures et ruissellent donc dans les eaux, ce qui provoque l’eutrophisation des écosystèmes, avec des algues qui prolifèrent, des écosystèmes qui dépérissent.

Le risque est que ce phénomène se produise à l’échelle de l’océan, ce qui provoquerait un manque d’oxygène pour toutes les espèces marines…» explique Natacha Gondran.

Parmi les répercussions délétères pour les humains, la Commission de la Terre met en lumière «l’insécurité alimentaire», ainsi que «l’iniquité au niveau mondial» entre les pays pauvres qui ont besoin de plus d’engrais, et les pays riches qui doivent réduire les excédents.

L’état des lieux planétaire dressé par le collectif de chercheurs forme un diagnostic bien sombre.

«Nous sommes dans l’anthropocène, mettant en danger la stabilité et la résilience de la planète entière», expose Johan Rockström, faisant référence à une nouvelle époque géologique marquée par l’empreinte de l’homme sur la planète.

Pas question pour autant de plonger dans le désespoir, insiste le scientifique, qui n’aspire qu’à voir cette étude dans Nature enclencher urgemment des actions.

«Les huit indicateurs ont été soigneusement choisis pour leur capacité à être mis en œuvre par les parties prenantes dans les villes, les entreprises et les pays du monde entier, poursuit-il.

Ils constituent des repères importants pour guider l’avenir de l’humanité sur Terre. Nous devons donc devenir les gardiens de l’ensemble du système terrestre.»

2023-05-29 Remarques sur la mobilisation contre TotalEnergies

Ce n’est pas seulement un changement d’intensité dans l’opposition qui s’est produit. C’est l’origine de l’opposition elle-même qui a changé. Le profil de ceux qui la soutienne. Et c’est ce qui change la donne. Pour s’en convaincre, il est utile de retracer la succession des grandes prises de position sur le sujet au cours des quatre derniers mois.

1/ Le 6 février : dans une tribune au Monde , cinq lauréates du prix Goldman pour l’environnement (parfois qualifié de prix Nobel de l’environnement) appellent les institutions financières à ne plus soutenir la stratégie d’expansion pétrolière et gazière de TotalEnergies.

Ici cette position est encore le fait d’activistes. Mais celle-ci, associée à d’autres, a probablement aidé à ouvrir la voie de ce qui a suivi.

2/ Le 8 février : dans une tribune sur le site de FranceInfo, onze scientifiques, coauteurs du Giec, dont Valérie Masson-Delmotte, dénoncent l’instrumentalisation de leurs travaux par TotalEnergies, ainsi que la stratégie du groupe. L’élément déclencheur de ce texte : le fait que TotalEnergies ait fait publiquement référence aux rapports du Giec pour justifier ses investissements fossiles, en réponse à une enquête de Cash Investigation.

Ce n’est pas la première fois, écrivent-ils, que les acteurs des fossiles font œuvre de désinformation climatique. Chose que les scientifiques n’entendent visiblement désormais plus laisser passer.

3/ Le 7 mai : 188 scientifiques et experts appellent les actionnaires de TotalEnergies à voter contre la stratégie climat du groupe lors de son AG du 26 mai. Ils dénoncent notamment le fait que TotalEnergies est « la firme pétrolière internationale qui a approuvé le plus de nouveaux projets pétroliers et gaziers en 2022 ».

Ici il faut bien mesurer le caractère majeur et inédit de ce texte : celui-ci est signé par la crème de nos scientifiques sur l’environnement. Les signataires incluent 48 chercheurs du CNRS et de multiples sommités dans leur domaine (entre autres, le géographe et écologue Wolfgang Cramer, qui contribue au Giec depuis 1992 ; l’océanographe Jean-Baptiste Sallée, lui aussi coauteur de l’organisme ; l’hydrologue Florence Habets ; le chercheur Aurélien Bigo sur la décarbonation des transports ; …).

Surtout, ce sont les figures majeures et pour certaines historiques du climat qui portent le texte : Jean Jouzel ; Christophe Cassou ; Céline Guivarch ; Magali Reghezza ; et encore une fois « la » chercheuse emblématique en France sur les questions climatiques, Valérie Masson-Delmotte, dont la légitimité et le sérieux sont unanimement reconnus dans la communauté scientifique.

Ici il n’est plus possible de décréter, comme on l’entend parfois, que 188 scientifiques seraient sortis de leur rôle en devenant tous soudainement « militants ». Cette tribune est un tournant.

Elle pose un jalon majeur. Désormais aller contre cet avis, c’est aller contre l’avis des scientifiques, et non plus simplement s’opposer à l’avis d’ONG dont il est toujours possible de critiquer la partialité. L’opposition a changé de nature.

4/ Le 12 mai : l’ADEME, c’est-à-dire l’agence publique chargée de la transition écologique en France, publie son analyse de la stratégie climatique de TotalEnergies dans la perspective du vote des actionnaires à son AG. Le bilan est sévère : score de 7/20 en termes d’alignement de la stratégie et note de D sur E en analyse de la cohérence d’ensemble (voir justification page 5 de ce pdf).

Sans surprise, l’ADEME sanctionne notamment le fait que TotalEnergies « continue à investir dans de nouveaux projets pétroliers et gaziers contrairement à ce qui est préconisé par le scénario Net Zero de l’Agence Internationale de l’Energie ».

5/ Le 23 mai : l’économiste Yamina Saheb, autrice principale du 3e volet du dernier rapport du Giec, intervient dans une table ronde à HEC, face à Carole Le Gall, vice-présidente de TotalEnergies chargée de soutenabilité et de climat.

Son propos très « cash » a laissé bon nombre d’observateurs bouche bée.

En voici une vidéo (propos en anglais) et ci-dessous les principaux extraits retranscrits et traduits :

6/ Le 26 mai, jour de l’AG de TotalEnergies : la résolution portée par l’ONG Follow This avec une coalition de 17 investisseurs (dont des noms comme Edmond de Rothschild AM, pas franchement réputés pour leur tradition activiste) est validée par 30% des actionnaires. Cette résolution, à laquelle le groupe s’opposait, demandait à TotalEnergies d’aligner ces émissions dites de scope 3 (liées à l’usage de ses produits) sur l’Accord de Paris d’ici 2030.

Ce score, très important bien qu’encore minoritaire, n’est pas loin de doubler celui de 2020 (17%). C’est un signal fort. Il surprend les observateurs.

7/ Le matin même : la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, interrogée sur France Info, dit distinguer « la forme et le fond » de l’action des militants présents devant l’AG, et fait comprendre qu’elle est alignée sur le fond.

Ces actions posent « une très bonne question » dit-elle, ajoutant que TotalEnergies et les autres pétroliers doivent se transformer et sortir des fossiles ; à défaut elles n’auront, dit-elle, « aucun avenir ».

On pourrait prolonger la liste (par exemple le magazine Challenges, plutôt libéral, épingle lui aussi la politique climatique du groupe dans son dernier numéro), mais arrêtons-nous là.

Mises bout à bout, ces prises de position forment un ensemble inédit qui montrent que 2023 est l’année d’un basculement . L’opposition apportée à la stratégie de TotalEnergies a changé de dimension.

En réalité, il faut être honnête : les jugements qui se veulent rationnels sur les modes d’action sont souvent très subjectifs, inséparables de nos croyances et valeurs personnelles…et de nos goûts !

Pensons à cette action chantante et dansante lors de la l’AG de Shell la semaine dernière, sous l’air de ‘Go to Hell, Shell’, qu’a applaudi le climatologue Christophe Cassou (“Rivalité d’originalité dans les modalités de dénonciation non-violentes.

Bravo car ces perturbations sont d’une forte symbolique & puissance”) :

2023-05-26 Climat : L’Assemblée générale de Total fortement perturbée par des activistes exigeant sa sortie des énergies fossiles

L’événement est fortement perturbé par 700 activistes non-violents qui ont tenté de bloquer les différents points d’entrée depuis 6h du matin.

Ils ont été violemment réprimés par la police présente en nombre dès le début de l’action.

Cette action de masse, coordonnée par Alternatiba Paris, les Amis de la Terre France, Attac, et avec le soutien de Greenpeace France, 350.org et Scientifiques en Rébellion a été organisée pour dénoncer les projets dévastateurs de Total et son greenwashing agressif.

Ils avaient prévenu, dans l’appel publié il y a un mois et intitulé « l’AG de Total n’aura pas lieu ! ». Ils sont là.

700 activistes non-violents perturbent actuellement la tenue de l’AG de Total devant la salle Pleyel.

Ils ont déployé une banderole indiquant “Total, les éco-terroristes, c’est vous”.

Des prises de parole ont eu lieu, ainsi que des animations artistiques.

Au mégaphone, les activistes entonnent des chants : “Nous ce qu’on veut, c’est renverser Total”.

Des actionnaires ont finalement forcé le barrage avec l’aide de la police, n’hésitant pas à piétiner les activistes .

Le dispositif policier déployé était massif et la violence particulièrement forte dès les premières minutes : gazage à bout portant, grenades lacrymogènes lancées dans la foule assise, vêtements brûlés aux grenades, matraquage arbitraire, interpellations, brutalisation des activistes et journalistes…

La police a tenté de déloger les activistes à de nombreuses reprises.

C’est ce dispositif répressif qui a permis aux actionnaires de rentrer et donc à l’AG d’être maintenue.

Nous condamnons cette violence inédite, qui protège les intérêts privés de Total et de ses actionnaires au détriment du climat et de l’intérêt général.

Les revendications des manifestants, venus défendre leur droit à un avenir juste et stable, sont pourtant légitimes .

Cette violence est un terrible aveu d’incompétence climatique de la part de l’Etat, et un marqueur de plus dans la glissade vers l’autoritarisme violent et la criminalisation des activistes climat .

2023-05-23 Cohérence et courage d’Adèle Haenel

« Il y a urgence : il n’y a plus d’avenir vivable pour personne à très court terme dans le cadre du capitalisme.

Remplir de vent l’espace médiatique a un but, celui de rendre l’ordre bourgeois aussi naturel que le bleu du ciel et de rendre inaudibles, marginales, les voix de celleux qui organisent la résistance pour que tous les humains puissent vivre dignement et qui essayent d’arracher un avenir à cette planète. »

pdfs/lettre_haenel-telerama.pdf

2023-05-19 La pause réglementaire en matière environnementale : un signal désastreux ?

2023-05-18 Aurélien Barrau au Parlement Européen “Au-delà de la croissance”